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Panorama du paysage produit par la société industrielle

Le droit à la ville, Henri Lefebvre – Notes de lectures

Nous sommes dépossédé de notre capacité de produire l’espace dans la présente société de classes.

L’urbanisme s’affirme être une composante essentielle de l’idéologie capitaliste dans sa façon d’organiser la ville en dépit de la perception que s’en font ses habitants. La rationalité capitaliste a une fois de plus substitué la valeur d’échange à la valeur d’usage dans le rapport produit/œuvre qu’entretenaient historiquement les citadins et leurs villes. En aménagement l’espace urbain comme étant avant tout une zone de circulation des marchandises, les urbanistes ont, consciemment ou non, nié l’existence de besoins sociaux en imposant le concept prépensé d’« habitat ». Le retour a une science de la ville unitaire qui admet les besoins sociaux semble nécessaire.

Extraits (classés par chapitre)

Chapitre Ⅰ – Industrialisation et urbanisation

D’autre part, les noyaux urbains ne disparaissent pas, rongés par le tissu envahissant ou intégrés à sa trame. Ces noyaux résistent en se transformant. Ils restent des centres de vie urbaine intense (à Paris, le quartier Latin). Les qualités esthétiques de ces noyaux anciens jouent un grand rôle dans leur maintien. Ils ne contiennent pas seulement des monuments, des sièges d’institutions, mais des espaces appropriés aux fêtes, aux défilés, aux promenades, aux réjouissances. Le noyau urbain devient ainsi produit de consommation d’une haute qualité pour étrangers, touristes, gens venus de la périphérie, banlieusards. Il survit grâce à ce double rôle : lieu de consommation et consommation du lieu. Ainsi les centres anciens entrent plus complètement dans l’échange et la valeur d’échange, non sans rester valeur d’usage en raison d’espaces offerts à des activités spécifiques. Ils deviennent centres de consommation. La résurgence architecturale et urbanistique du centre commercial ne donne qu’une version affadie et mutilée de ce que fut le noyau de la ville ancienne, à la fois commercial, religieux, intellectuel, politique, économique (productif).


Le baron Haussmann, homme de cet État bonapartiste qui s’érige au-dessus de la société pour la traiter cyniquement comme le butin (et pas seulement l’enjeu) des luttes pour le pouvoir, le baron Haussmann remplace par de longues avenues les rues tortueuses mais vivantes, par des quartiers embourgeoisés les quartiers sordides mais animés. S’il perce des boulevards, s’il aménage des espaces vides, ce n’est pas pour la beauté des perspectives. C’est pour « peigner Paris avec les mitrailleuses » (Benjamin Péret). Le célèbre baron ne s’en cache pas. Plus tard, on saura gré à Haussmann d’avoir ouvert Paris à la circulation. Tels n’étaient pas le but, la finalité de « l’urbanisme » haussmannien. Les vides ont un sens : ils disent haut et fort la gloire et la puissance de l’État qui les aménage, la violence qui peut s’y déployer.


D’autre part, ce n’est pas une pensée urbanistique qui guide les initiatives des organismes publics et semi-publics, c’est simplement le projet de fournir le plus vite possible au moindre coût le plus possible de logements. Les nouveaux ensembles seront marqués d’un caractère fonctionnel et abstrait : le concept de l’habitat porté jusqu’à sa forme pure par la bureaucratie d’État.


Si l’on définit la réalité urbaine par la dépendance vis-à-vis du centre, les banlieues sont urbaines. Si on définit l’ordre urbain par un rapport perceptible (lisible) entre la centralité et la périphérie, les banlieues sont désurbanisées. Et l’on peut dire que la « pensée urbanistique » des grands ensembles s’est littéralement acharnée sur la ville et l’urbain pour les extirper. Toute la réalité urbaine perceptible (lisible) a disparu : rues, places, monuments, espaces de rencontre. Il n’est pas jusqu’au café (le bistrot) qui n’ait suscité le ressentiment des « ensemblistes », leur goût de l’ascétisme, leur réduction de l’habiter à l’habitat. Il a fallu qu’ils aillent jusqu’au bout de leur destruction de la réalité urbaine sensible pour qu’apparaisse l’exigence d’une restitution. Alors, on a vu réapparaitre timidement, lentement, le café, le centre commercial, la rue, les équipements dits culturels, bref quelques éléments de réalité urbaine.

Chapitre Ⅳ – Philosophie de la ville et idéologie urbanistique

Cette idéologie a deux aspects solidaires : un aspect mental, un aspect social. Mentalement, elle implique une théorie de la rationalité et de l’organisation dont on peut dater la formulation aux alentours de 1910, lors d’une mutation de la société contemporaine (début d’une crise profonde et de tentatives pour résoudre cette crise par des méthodes d’organisation à l’échelle de l’entreprise d’abord, puis à l’échelle globale). Socialement, c’est alors la notion d’espace qui vient au premier plan, reléguant dans l’ombre le temps et le devenir. L’urbanisme comme idéologie formule tous les problèmes de la société en questions d’espace et transpose en termes spatiaux tout ce qui vient de l’histoire, de la conscience. Idéologie qui se dédouble aussitôt. Puisque la société ne fonctionne pas d’une manière satisfaisante, n’y aurait-il pas une pathologie de l’espace ? Dans cette perspective, on ne conçoit pas la priorité presque officiellement reconnue de l’espace sur le temps comme indice de pathologie sociale : comme symptôme, parmi d’autres d’une réalité qui engendre des maladies sociales. On se représente au contraire des espaces malsains et des espaces sains. L’urbaniste saurait discerner les espaces malades des espaces liés à la santé mentale et sociale, générateurs de cette santé. Médecin de l’espace, il aurait la capacité de concevoir un espace social harmonieux, normal et normalisant. Sa fonction serait dès lors d’accorder à cet espace (qui se trouve comme par hasard identique à l’espace des géomètres, celui des topologies abstraites) les réalités sociales préexistantes.

Chapitre Ⅳ – Continuités et discontinuités

Oui, la ville se lit parce qu’elle s’écrit, parce qu’elle fut écriture. Il ne suffit cependant pas d’examiner ce texte sans recourir au contexte. Écrire sur cette écriture ou sur ce langage, élaborer le méta-langage de la ville, ce n’est pas connaître la ville et l’urbain. Le contexte, ce qu’il y a au-dessous du texte à déchiffrer (la vie quotidienne, les relations immédiates, l’inconscient de l’urbain, ce qui ne se dit guère et s’écrit encore moins, ce qui se cache dans les espaces habités, — la vie sexuelle et familiale, — et ne se manifeste guère dans les face-à-face), ce qu’il y a au-dessus de ce texte urbain (les institutions, les idéologies), cela ne peut se négliger dans le décryptage.

Chapitre Ⅸ – Aux alentours du point critique

La multiplication et la complexification des échanges au sens large du terme ne peuvent se poursuivre sans qu’il existe des lieux et moments privilégiés, sans que ces lieux et moments de rencontres s’affranchissent des contraintes du marché, sans que la loi de la valeur d’échange soit maitrisée, sans que se modifient les rapports qui conditionnent le profit. Jusqu’alors la culture se dissout, devenant objet de consommation, occasion de profit, production pour le marché ; le « culturel » dissimule plus d’un piège.


La question du logement, son urgence dans les conditions de la croissance industrielle ont d’abord masqué et masquent encore les problèmes de la ville. Les tacticiens politiques, attentifs surtout à l’immédiat, n’ont vu et n’y voient guère que cette question. Lorsque les problèmes d’ensemble ont émergé, sous le nom d’urbanisme, on les a subordonnés à l’organisation générale de l’industrie. Attaquée à la fois par en haut et par en bas, la ville s’aligne sur l’entreprise industrielle ; elle figure dans la planification comme rouage ; elle devient dispositif matériel propre à organiser la production, à contrôler la vie quotidienne des producteurs et la consommation des produits. Tombée au rang de moyen, elle étend la programmation du côté des consommateurs et de la consommation ; elle sert à régler, à ajuster l’une sur l’autre la production des marchandises et la destruction des produits par l’activité dévorante dite « consommation ». Elle n’avait, elle n’a de sens que comme œuvre, comme fin, comme lieu de jouissance libre, comme domaine de la valeur d’usage ; or on l’assujettit aux contraintes, aux impératifs de « l’équilibre » dans des conditions étroitement limitatives ; elle n’est plus que l’instrument d’une organisation qui n’arrive d’ailleurs pas à se consolider en déterminant ses conditions de stabilité et d’équilibre, organisation selon laquelle des besoins individuels répertoriés et téléguidés se satisfont en anéantissant des objets répertoriés dont la probabilité de durée (l’obsolescence) est elle-même objet de science. Jadis, la raison eut dans la cité son lieu de naissance, son siège, son foyer. Face à la ruralité, à la vie paysanne en proie à la nature, À la terre sacralisée et pleine de forces obscures, l’urbanité s’affirmait raisonnable. Aujourd’hui, la rationalité passe (ou semble passer, ou prétend passer) loin de la ville, au-dessus d’elle, à l’échelle du territoire national ou du continent. Elle refuse la ville comme moment, comme élément, comme condition ; elle ne l’admet que comme outil et dispositif.


Simultanément, on impose un fonctionnalisme simplificateur et des cadres sociaux qui débordent l’urbain. Sous prétexte d’organisation, l’organisme disparaît, de sorte que l’organicisme venu des philosophes apparaît comme un modèle idéal. L’ordonnance des « zones » et des « aires » urbaines se réduit à une juxtaposition d’espaces, de fonctions, d’éléments sur le terrain. Secteurs et fonctions sont subordonnés étroitement aux centres de décision. L’homogénéité l’emporte sur les différences venues de la nature (site), de L’entourage paysan (territoire et terroir), de l’histoire. La ville, ou ce qui en reste, on la construit ou on la remanie, à l’instar d’une somme ou d’une combinatoire d’éléments. Or, dès que la combinatoire est conçue et perçue et prévue comme telle, les combinaisons se discernent mal ; les différences tombent dans la perception de leur ensemble. De sorte que l’on a beau chercher rationnellement la diversité, une impression de monotonie recouvre ces diversités et l’emporte, qu’il s’agisse des logements, des immeubles, des centres dits urbains, des aires organisées. L’urbain, non pensé comme tel mais attaqué de face et de biais, corrodé, rongé, a perdu les traits et caractères de l’œuvre, de l’appropriation. Seules les contraintes se projettent sur le terrain, dans un état de dislocation permanente. Du côté de l’habitation, le découpage et l’agencement de la vie quotidienne, l’usage massif de l’automobile (moyen de transport « privé »), la mobilité (d’ailleurs freinée et insuffisante), l’influence des mass-media, ont détaché du site et du territoire les individus et les groupes (familles, corps organisés). Le voisinage s’estompe, le quartier s’effrite ; les gens (les « habitants ») se déplacent dans un espace qui tend vers l’isotopie géométrique, rempli de consignes et de signaux, où les différences qualitatives de lieux et instants n’ont plus d’importance. Processus inévitable de dissolution des anciennes formes, certes, mais qui produit la dérision, la misère mentale et sociale, la pauvreté de la vie quotidienne dès lors que rien n’a remplacé les symboles, les appropriations, les styles, les monuments, les temps et rythmes, les espaces qualifiés et différents de la ville traditionnelle. La société urbaine, par dissolution de cette ville soumise a des pressions qu’elle ne peut supporter, tend donc à se fondre d’une part dans l’aménagement planifié du territoire, dans le « tissu urbain » déterminé par les contraintes de la circulation, et d’autre part dans des unités d’habitation telles que les secteurs pavillonnaires et les « grands ensembles ». L’extension de la ville produisit la banlieue, puis la banlieue engloutit le noyau urbain. Les problèmes ont été inversés, quand ils ne sont pas méconnus. Ne serait-il pas plus cohérent, plus rationnel et plus agréable, d’aller travailler en banlieue, et d’habiter la ville, plutôt que d’aller travailler en ville, tout en habitant dans une banlieue peu habitable ? La gestion centralisée des « choses » et de la « culture » cherche à se passer de cet échelon intermédiaire, la ville. Bien plus : l’État, les centres de décision, les pouvoirs idéologiques, économiques et politiques, ne peuvent que considérer avec une méfiance accrue cette forme sociale qui tend vers l’autonomie, qui ne peut vivre que spécifiquement, qui s’interpose entre eux et « l’habitant », ouvrier ou non, travailleur productif ou non, mais homme et citoyen en même temps que citadin. La ville, pour le pouvoir, depuis un siècle, quelle est son essence ? Elle fermente, pleine d’activités suspectes, de délinquances ; c’est un foyer d’agitation. Pouvoir étatique et grands intérêts économiques ne peuvent guère concevoir qu’une stratégie : dévaloriser, dégrader, détruire la société urbaine. Dans les processus en cours, il y a des déterminismes et il y a des stratégies, des spontanéités et des actes concertés. Les contradictions subjectives et idéologiques, les soucis « humanistes » gênent mais n’arrêtent pas ces actions stratégiques. La ville empêche les puissances de manipuler à leur gré les citadins-citoyens, individus, groupes, corps. Par conséquent, la crise de la ville se lie non pas à la rationalité comme telle, définissable en partant de la tradition philosophique, elle se relie à des formes déterminées de la rationalité : étatique, bureaucratique, économique ou plutôt « économiste », l’économisme étant une idéologie dotée d’un appareil. Cette crise de la ville s’accompagne un peu partout d’une crise des institutions urbaines (municipales) due à la double pression de l’État et de l’entreprise industrielle. Tantôt l’État, tantôt l’entreprise, tantôt les deux (rivaux, concurrents, mais souvent associés) tendent à accaparer les fonctions, attributs, prérogatives de la société urbaine. Dans certains pays capitalistes, l’entreprise « privée » laisse-t-elle à l’État, aux institutions, organismes « publics » autre chose que ce dont elle refuse de se charger parce que trop onéreux ?

Chapitre Ⅺ – L’analyse spectrale

L’image de l’enfer urbain qui se prépare n’est pas moins fascinante, et les gens se ruent vers les ruines des villes anciennes pour les consommer touristiquement, en croyant guérir leur nostalgie. Devant nous, comme un spectacle (pour spectateurs « inconscients » de ce qu’ils ont devant leur « conscience ») voici les éléments de la vie sociale et de l’urbain, dissociés, inertes. Voici des « ensembles » sans adolescents, sans personnes âgées. Voici des femmes somnolentes pendant que les hommes vont travailler au loin et rentrent harassés. Voici des secteurs pavillonnaires qui forment un microcosme et cependant restent urbains parce qu’ils dépendent des centres de décision et que chaque foyer à la télévision. Voici une vie quotidienne bien découpée en fragments : travail, transport, vie privée, loisirs. La séparation analytique les a isolés comme des ingrédients et des éléments chimiques, comme des matériaux bruts (alors qu’ils résultent d’une longue histoire et qu’ils impliquent une appropriation de la matérialité). Ce n’est pas fini. Voici l’être humain démembré, dissocié. Voici les sens l’odorat, le goût, la vue, le toucher, l’ouïe, les uns atrophiés, les autres hypertrophiés. Voici, fonctionnant séparément, la perception, l’intelligence, la raison. Voici la parole et le discours, l’écrit. Voici la quotidienneté et la fête, celle-ci moribonde.


Autre thème obsédant : la participation (liée à l’intégration). Mais il ne s’agit pas d’une simple obsession. Dans la pratique, l’idéologie de la participation permet d’obtenir au moindre prix l’acquiescement des gens intéressés et concernés. Après un simulacre plus ou moins poussé d’information et d’activité sociale, ils rentrent dans leur tranquille passivité, dans leur retraite. N’est-il pas clair que la participation réelle et active porte déjà un nom ? Elle se nomme autogestion. Ce qui pose d’autres problèmes.

Chapitre Ⅻ – Le droit à la ville

La société où nous vivons paraît tendue vers la plénitude ou du moins vers le plein (objets et biens durables, quantité, satisfaction, rationalité). En fait, elle laisse se creuser un vide colossal ; dans ce vide s’agitent les idéologies, se répand la brume des rhétoriques. Un des plus grands desseins que puisse se proposer la pensée active, sortie de la spéculation et de la contemplation, et aussi des découpages fragmentaires et des connaissances parcellaires, c’est de peupler cette lacune, et pas seulement avec du langage.


Est-il indispensable de décrire longuement, à côté de la condition des jeunes et de la jeunesse, des étudiants et des intellectuels, des armées de travailleurs avec ou sans col blanc, des provinciaux, des colonisés et semi-colonisés de toutes sortes, de tous ceux qui subissent une quotidienneté bien agencée, est-il nécessaire ici d’exhiber la misère dérisoire et sans tragique de I’habitant, des banlieusards, des gens qui séjournent dans les ghettos résidentiels, dans les centres pourrissants des villes anciennes et dans les proliférations égarées loin des centres de ces villes ? Il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre la vie quotidienne de celui qui court de son logement à la gare proche ou lointaine, au métro bondé, au bureau ou à l’usine, pour reprendre le soir ce même chemin, et venir chez lui récupérer la force de recommencer le lendemain. Le tableau de cette misère généralisée n’irait pas sans le tableau des « satisfactions » qui la dissimulent et deviennent moyens de l’éluder et de s’en évader.

Chapitre ⅩⅢ – Perspective ou prospective ?

Et pendant que s’urbanise la société française, alors que Paris se transforme, alors que certains pouvoirs sinon le pouvoir modèlent la France de l’an 2000, personne ne songe à la ville idéale ou à ce que devient autour de soi la ville réelle. L’utopie s’attache à de multiples réalités, plus ou moins lointaines, plus ou moins connues, inconnues, méconnues. Elle ne s’attache plus à la vie réelle et quotidienne. Elle ne naît plus dans les absences et lacunes qui trouent cruellement la réalité environnante. Le regard se détourne, quitte l’horizon, se perd dans des nuées, ailleurs. Telle est la puissance de détournement des idéologies, à l’instant exact où l’on ne croit plus à l’idéologie, mais au réalisme et au rationalisme !


Il est essentiel de ne plus considérer séparément l’industrialisation et l’urbanisation mais de percevoir dans l’urbanisation le sens, le but, la finalité de l’industrialisation. En d’autres termes, il est essentiel de ne plus viser la croissance économique pour la croissance, idéologie « économiste » qui couvre des desseins stratégiques : le surprofit et la surexploitation capitalistes, la maîtrise de l’économique (d’ailleurs manquée de ce seul fait) au profit de l’État. Les concepts d’équilibre économique, de croissance harmonieuse, de maintien des structures (les rapports structurés-structurants étant les rapports de production et de propriété existants) doivent se subordonner aux concepts plus puissants virtuellement de développement, de rationalité concrète émergeant des conflits.


Le socialisme ? Bien sûr, c’est de cela qu’il est question. Mais de quel socialisme ? Selon quel concept et quelle théorie de la société socialiste ? La définition de cette société par organisation planifiée de la production suffit-elle ? Non. Le socialisme ne peut aujourd’hui se concevoir que comme production orientée vers les besoins sociaux et par conséquent vers les besoins de la société urbaine.


Le problème des loisirs oblige à penser plus clairement encore une stratégie. Pour le poser dans toute son ampleur, il convient d’abord de détruire quelques fantasmes mêlés d’idéologie. L’imaginaire social aménagé (par l’idéologie, par la publicité) aussi bien que la triste réalité des « hobbies » et de la « créativité » miniaturisée bouchent l’horizon. Ni les départs en vacances, ni la production culturelle industrialisée — ni les loisirs dans la vie quotidienne, ni les loisirs hors de la quotidienneté — ne résolvent le problème. Leurs images empêchent de le poser. Le problème, c’est d’en finir avec les séparations : « quotidienneté-loisirs » ou « vie quotidienne-fête ». C’est de restituer la fête en transformant la vie quotidienne. La ville fut espace occupé à la fois par le travail productif, par les œuvres, par les fêtes. Qu’elle retrouve cette fonction au-delà des fonctions, dans la société urbaine métamorphosée. Ainsi se formule un des objectifs stratégiques (qui d’ailleurs consiste seulement en la formulation de ce qui se passe aujourd’hui, sans grâce ni splendeur, dans les villes ou festivités et festivals tentent maladroitement de recréer la Fête).