condor

Grominet défoncé qui roule un joint

Perspectives situationnistes sur la drogue

Ajouterai-je que le haschisch, comme toutes les joies solitaires, rend l’individu inutile aux hommes et la société superflue pour l’individu, le poussant à s’admirer sans cesse lui-même et le précipitant jour à jour vers le gouffre lumineux où il admire sa face de Narcisse ?

Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels, Le Poème du haschisch, Morale

Réciproquement, les raisons qui mènent l’individu à se droguer ne sont-elles pas identiques à celles qui conduisent la société aliénée à l’exclusion de ce même individu ? En effet, l’usage de drogue s’inscrit dans la recherche d’un « stade supérieure » de l’existence, c’est-à-dire dans l’adoption d’un tout autre comportement face au monde. En tant qu’activité séparée, la consommation de drogue implique que l’enivrement ne peut pas être trouvé dans la vie sociale elle-même. La drogue pose donc la question de l’accès à l’ivresse dans la société, du changement de perception face au monde qu’il nous est permis de contempler. Elle manifeste la capacité des individus à formuler une critique consciente de leur propre condition.

Une société qui sera parvenue à une transformation radicale de la vie quotidienne réussira-t-elle tout de même à éradiquer la nécessité de la drogue au sein de sa population ? Formulé autrement, aura-t-elle matérialisé la critique de la vie quotidienne contenue dans la drogue ? Aura-t-elle tenu sa promesse d’ivresse ? Le cas échéant, la consommation de drogue ne consisterait plus le moyen par défaut d’accès à l’ivresse dans une société qui ne fournirait pas les moyens de l’atteindre autrement. Ce qui semble plausible pour Charles lui-même qui considère que l’usage de drogue n’est pas le seul moyen d’accès à l’ivresse et que par extension l’aspiration à une société où les hommes vivent heureux sans drogue est réaliste : lorsque l’ivresse se sera reconnue devant elle-même :

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, Enivrez-vous